Comment rééquilibrer les ligaments du genou sans ré-opérer un patient ?

Un nouveau volet de Demain Chez Vous a été publié! Après le premier épisode, c’est au tour de mon projet de thèse 🙂

L’arthrose conduit à la pose de près de 70 000 prothèses du genou par an en France. Au fil du temps, la prothèse subit l’évolution des modes de vie du patient ce qui peut conduire au descellement de la prothèse ou à déséquilibrage des ligaments. Il est alors nécessaire de procéder à une chirurgie dite de reprise. Pour pallier ce problème une nouvelle génération d’implants orthopédiques instrumentés est en cours de développement à Télécom Bretagne. Le médecin pourra corriger la tension des ligaments en actionnant le système placé dans la prothèse.
Ce dispositif innovant et prometteur est développé à Télécom Bretagne au Latim, sous la responsabilité de Chafiaa Hamitouche.

Voyage au cœur du genou avec Andrea Collo, concepteur d’un implant intelligent

publié dans Lexians (écrit par Delphine Lucas)

andrea-collo-2Andrea Collo a soutenu ses travaux de thèse intitulés « Study, Design and Evaluation of an Actuated Knee Implant for Postoperative Ligament Imbalance Correction » le 27 octobre dernier à Télécom Bretagne. Ses travaux de recherche ont eu lieu au département Image et traitement de l’information de Télécom Bretagne, au Latim ainsi qu’au LIRMM. Rencontre avec ce talentueux concepteur d’un implant intelligent, novateur, compact et robuste.

Delphine Lucas : Quel était le contexte lorsque vous avez débuté vos travaux de recherche ?

Andrea Collo : Tout est parti en 2006 d’une idée d’Éric Stindel, directeur du Latim, de développer une prothèse intelligente du genou. Cette sorte de prothèse active pourrait communiquer avec le chirurgien orthopédiste en envoyant des données pendant et surtout après la chirurgie. L’arthroplastie totale de genou est une chirurgie qui consiste à remplacer entièrement l’articulation du genou par le biais d’une prothèse (souvent en titane). La prothèse rétablit la géométrie naturelle du fémur et du tibia, tout en conservant leur mobilité relative. L’équilibrage ligamentaire est une phase clé de l’acte chirurgical : le praticien doit positionner les composants prothétiques tout en mettant en place des conditions de tensions appropriées au niveau du genou. La tension de ces deux ligaments garantit le bon alignement du membre inférieur pour une bonne mobilité post-opératoire. Après l’opération, le genou opéré s’adapte à la présence de la prothèse et des micro-changements peuvent se produire entre les composants prothétiques. Ces imprécisions sont incontrôlables et peuvent compromettre les conditions d’équilibre ligamentaire mises en place lors de la chirurgie. À l’heure actuelle, la seule solution à ce problème est la chirurgie de reprise. Cette dernière intervient dans environ 10% des cas de pose de prothèse totale de genou et est extrêmement coûteuse. L’idée d’Éric Stindel était donc d’éviter la chirurgie de reprise en proposant une prothèse intelligente capable de compenser toutes les conditions de déséquilibre ligamentaire.

Pouvez-vous nous expliquer simplement en quoi consistait votre projet de thèse ?

cale-280x191Mon projet de thèse s’est inscrit dans la continuité des travaux de recherche de Shaban Almouahed, qui a travaillé sur la détection du déséquilibre ligamentaire postopératoire. Il a conçu un modèle original de prothèse de genou qui repose sur l’utilisation de quatre capteurs de force piézoélectriques embarqués dans le composant tibial. Cet implant est à même de détecter toute condition de laxité (relâchement) ligamentaire post-opératoire. L’idée pour ma thèse était ensuite de concevoir un mécanisme miniaturisé, embarqué lui aussi dans le composant tibial, pour retendre un ligament collatéral relâché sans chirurgie et rétablir ainsi l’équilibre ligamentaire. Ce projet ambitieux est novateur et fortement pluridisciplinaire : il fait appel à des notions cliniques importantes, avec plusieurs contraintes de mécanique, d’électronique et de biocompatibilité.

Miniaturisation et robustesse des composants font-ils bon ménage ?

La difficulté était de concevoir un dispositif adapté à l’espace réduit disponible (environ 7×5 cm de plateau tibial sur seulement 5 mm d’épaisseur) sans diminuer la robustesse de la prothèse ni créer de faiblesse au niveau de l’os. Il a donc fallu miniaturiser au maximum les pièces mécaniques, micro-moteurs, capteurs, câbles, antennes… En outre, le mécanisme miniaturisé doit être capable de résister aux sollicitations importantes qui se génèrent dans le genou lors des activités de la vie quotidienne. Par exemple, lors de la marche normale, la force tibiofémorale maximale qui peut se développer dans le genou peut dépasser de trois fois le poids corporel (environ 260 kg) ; encore pire pour la descente d’escaliers (cinq fois le poids corporel) ou le mouvement de swing du golf (sept fois).
Avec les imprimantes 3D, comme celle du Fablab de l’École, il est possible de créer aisément des prototypes, mais il faut aussi traiter les nombreux verrous technologiques qui se posent, notamment celui de la miniaturisation du micro-moteur… Cela sera levé d’ici quelques années, j’en suis certain !

Techniquement, comment fonctionne le dispositif et comment le praticien va t-il l’actionner ?

prothèseLors d’une visite de contrôle, le patient est invité à faire quelques pas afin de générer de l’énergie à l’intérieur de la prothèse. Les piézos, utilisés principalement comme capteurs de force, peuvent être exploités comme générateurs d’énergie électrique. Cette énergie alimente un système de télécommunication à distance miniaturisé embarqué dans la quille du composant tibial de la prothèse. Le traitement des données recueillies par les piézos permet de calculer la force tibiofémorale nette et son point d’application dans la prothèse ; avec ces informations, le praticien peut ensuite estimer le soulèvement latéral de la plateforme tibiale nécessaire à retendre le ligament collatéral relâché.
Le mécanisme miniaturisé embarqué dans la plateforme tibiale peut être contrôlé par radiofréquence (RFID) et alimenté par induction magnétique : cette dernière est une technique de transfert d’énergie sans contact qui repose sur l’utilisation combinée de deux bobines. On aurait donc une prothèse contrôlée et alimentée à distance sans besoin ni de câbles ni de batteries. Techniquement, le mécanisme que j’ai conçu repose sur l’utilisation combinée d’une cale (ou un coin, si cela est plus évocateur) et d’une vis sans fin. Grâce à une cale, trois fois plus fine que longue, la force de sortie est multipliée. La vis (guidée par le micro-moteur) passe à travers la cale et la fait translater latéralement dans la plateforme tibiale. Lors de sa translation, la cale glisse sous un plateau tibial mobile et le soulève latéralement comme souhaité. Et voilà, le tour est joué, il est ainsi possible de retendre un ligament collatéral relâché !

Votre recherche est ambitieuse et fait appel à des compétences pluri-disciplinaires, quel est votre parcours ?

Après une licence en génie biomédical à Gênes en Italie, j’ai poursuivi le Master Européen en Robotique Avancée (Emaro), dispensé pendant deux ans entre l’Université de Gênes et l’École Centrale de Nantes. Ensuite, ma recherche d’un sujet de thèse dans le domaine de la robotique médicale m’a conduit à trouver ce beau projet entièrement financé par l’Institut Mines-Télécom/Télécom Bretagne, dans le cadre du programme Futur & ruptures. La collaboration entre deux laboratoires français, le Latim (Laboratoire de traitement de l’information médicale) à Brest et le Lirmm (Laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique) à Montpellier a été globalement positive et m’a permis d’acquérir les compétences nécessaires à l’avancement du projet. Mes encadrants pour cette thèse étaient Éric Stindel du Latim, Chafiaa Hamitouche-Djabou du département Image et traitement de l’information à Télécom Bretagne et Philippe Poignet pour le Lirmm. Un financement sur 24 mois de l’Agence nationale de la recherche (ANR projet Emerge) vient d’être acté. Cela va permettre de poursuivre mes travaux de thèse pour le développement de la première prothèse instrumentée de genou autonome en énergie et adaptative.

Quand peut-on espérer voir ce type de prothèse intelligente arriver au bloc opératoire ?

A priori, ce système novateur permettrait à des milliers de personnes d’éviter la chirurgie de reprise. Il reste encore à optimiser et à valider définitivement les choix de conception. Une phase de validation clinique est indispensable pour vérifier la fiabilité et l’efficacité du système et des expérimentations in vivo sont également nécessaires. Il faudra compter entre 10 à 15 ans avant que des patients puissent profiter de ce dispositif. Patience est mère de toutes les vertus.

what’s LaTIM ?

The Laboratory of Medical Information Processing (LaTIM – INSERM UMR 1101) is a research team made up of the University Hospital of Brest, the Faculty of Medicine and Telecom Bretagne (graduate engineering school). It carries out many projects in three main research areas:

  1. Computer-Assisted Orthopaedic Surgery (IPAL research team);
  2. Quantitative Multimodal Imaging for Diagnosis and Therapy (Quantitative Multi-modality Imaging Team);
  3. Multimedia Medical Information Indexing, Tracking and Integrity (IT2IM Team).

These three themes are integrated within a methodological approach of the diagnostic and therapeutic imaging based on information and knowledge. For my PhD project I am member of the IPAL Team, carrying out my research in the field of Computer-Assisted Orthopaedic Surgery (CAOS).